Une saison dans la vie d’Emmanuel
Roman de Marie-Claire Blais
Emmanuel naît » sans bruit un matin d’hiver « . Lorsqu’il ouvre les yeux sur ce qui l’entoure, sa mère est déjà partie aux champs. Quand elle reviendra, se souviendra-t-elle qu’elle l’a mis au monde le matin même ? Emmanuel pleure, seul avec sa grand-mère, personnage fort et bourru. Soudain il comprend : » Il désirait respecter son silence ; il n’osait plus se plaindre car il lui semblait soudain avoir une longue habitude du froid, de la faim, et peut-être même du désespoir. » Entre une grand-mère sèche, culpabilisante mais rassurante, une mère silencieuse et soumise, un père absent, et d’innombrables frères et sœurs, dont Héloïse, ancienne religieuse devenue fille de mauvaise vie, et le souvenir de Jean le Maigre, frère » intelligent à vous faire peur » qu’il n’a pas connu, Emmanuel va rapidement s’éveiller, découvrir la soif de liberté, la vie et son lot de petites joies et de grandes souffrances.
Marie-Claire Blais, dont l’originalité, les talents d’écrivain et la grande sensibilité ont été reconnus dès la parution de son premier livre (La Belle Bête, 1959), a reçu pour Une Saison dans la vie d’Emmanuel le prix Médicis 1976.
Quand je suis arrivée au Canada, j’ai voulu découvrir ce pays sous toutes ses coutures. Pour l’histoire, j’ai lu « L’histoire du Canada pour les nulles ». Pas très académique mais complet, accessible et pas trop long. Pour les arts graphiques, quelques séances au Musées des Beaux Arts. Pour le cinéma, le coffret des films de Denys Arcand, la Chute de l’empire américain et les Invasions barbares, et les Têtes-à-claques un peu aussi. Pour la littérature, j’ai commencé par Marie-Claire Blais. C’est ma deuxième chronique pour mon défi de lecture canadienne.
J’ai adoré parce que c’est à la fois une belle œuvre de littérature mais aussi une plongée dans le Québec du début du XXe siècle. Une initiation à la civilisation québécoise : l’hiver, la vie à la campagne, les familles nombreuses, la domination de l’église. L’écriture est fine et subtile mais le récit est pittoresque, rustique : comme si on y était.
Je l’ai dévoré, il faut dire que le livre ne fait que 165 pages. Malgré tous leurs vices, la crasse et la pauvreté, les personnages sont attachants.
La grand-mère Antoinette bourrue et méchante, pas si méchante en fait, plutôt endurcie par cette rude vie de labeur, de froid et de pauvreté. Je l’aime bien finalement, peut être parce qu’elle est directe et tient tête à son gendre, le maitre de maison. C’est mon côté féministe qui parle. Les fils indignes : Jean le Maigre, l’intellectuel, le poète de la famille mais tuberculeux qui finira sa courte vie au séminaire selon la volonté de Grand-mère Antoinette ; et le Septième – je ne me souviens avoir lu son nom dans le livre- le vicieux, le paresseux mais malin et plein de vie. Celui qui s’en sort le mieux dans l’histoire. Et enfin, la sœur Héloïse qui passe du statu de religieuse illuminée à celui de prostituée enthousiaste.
C’est certainement un peu cliché : la famille de paysans pauvres de fin fond du Québec, les fils voués au séminaire et à l’emprise des prêtres pédophiles, le travail à la ville et ses vices urbains. Mais c’est compensé par la belle écriture et le réalisme poignant, tantôt pathétique, tantôt burlesque, tantôt émouvant.
Ce bouquin m’a tout simplement donné envie d’en lire d’autres.