Archive for mars 2011

L’étourdissement

9 mars 2011

de Joël Egloff

L'étourdissement Joel Egloff

Dans un lieu improbable, entre l’aéroport et un supermarché, tout près de la décharge, se trouve l’abattoir. C’est là que travaille le narrateur, jeune homme célibataire qui vit avec sa grand-mère acariâtre.  » On peut pas dire que c’est vraiment le boulot dont je rêvais… Ça fait tellement longtemps que ça saigne, j’en ai des vertiges de cette longue hémorragie.  » Il y a bien un peu d’amour, les filles à la pause, l’institutrice entrevue et dont il rêve, rêve, sans oser lui parler. Et puis quelques copains avec qui on projette des voyages et des aventures sans lendemain… Ce serait le récit de la routine d’une vie ordinaire. Mais de ce quotidien absurde, l’auteur dessine un portrait à la fois sinistre et poétique, empreint d’un humour souvent cinglant et toujours discret. Voici des personnages cocasses, des scènes surprenantes et drôles, dans l’ambiance d’un conte généreux, plein d’espoir et d’humanité.

Une autre relecture pour moi… Je me souviens très bien d’avoir choisi ce livre pour la quatrième de couverture. J’ai passé un très bon moment à suivre le narrateur dans sa vie si ordinaire et si peu ordinaire en même temps.

Il se lit très très vite, d’une part parce qu’il est vraiment court mais aussi parce que tout est fluide et défile facilement sous nos yeux et dans notre esprit.

Banlieue populaire, ouvrière… Vie un peu paumée… Emploi précaire… Peu de relations avec les autres… C’est une ambiance assez sordide que l’auteur nous dépeint avec finesse et une dose d’humour malgré tout… Le narrateur survit, tant bien que mal et malgré tout.

L’ensemble est aussi un peu déstabilisant…Les descriptions font plutôt réelles, parfois un brin caricaturées quand même. On sait bien que ce n’est pas juste un emballage pour un roman… Mais oui, cette vie là, combien de personnes la vivent ? Alors on se prend à relativiser et à mesurer notre chance… Allez, on n’est pas si malheureux que ça finalement…

Même le silence a une fin

2 mars 2011

de Ingrid Bétancourt

Meme le silence a une fin Ingrid Betancourt

Le 23 février 2002, Ingrid Betancourt est enlevée par les FARC. Un calvaire commence, qui prendra fin six ans et demie plus tard, le 2 juillet 2008.
Ingrid Betancourt décrit avec précision sa captivité aux mains des FARC. Le récit débute par une impressionnante scène, décrivant l une de ses cinq tentatives d évasion. Le lecteur est ainsi fixé à la fois sur la détermination de la prisonnière, et sur la dureté de ses conditions de détention. On revient ensuite au début de l histoire, qui suivra dès lors le fil chronologique, à commencer par la journée du 23 février 2002.
De cette litanie de journées semblables, Ingrid Betancourt parvient à faire un récit captivant de bout en bout. Elle nous plonge dans la vie quotidienne de la jungle, rendant presque palpables l attente et l angoisse, décrivant de façon très nuancée ses geôliers, qui pour la plupart ont l âge de ses propres enfants. Elle raconte les évasions ratées, les humiliations permanentes dues à la promiscuité et à la cruauté de certains gardes ou commandants de camps successifs, les conditions de vie épouvantables, la fuite permanente, les malaises et les maladies, les périodes de découragement. Chaque tentative d évasion entraîne des traitements toujours plus violents, mais aussi les reproches de ses codétenus, qui la rendent responsable de l aggravation immédiate de leurs conditions. Il y a aussi des moments inattendus de joie (la confection de ceintures tressées en fil de nylon, la broderie, la lecture de la Bible ou de Harry Potter, le gâteau d anniversaire confectionné pour la date de naissance de la fille d Ingrid, les geôliers soudain se mettant à danser avec la grâce des adolescents qu ils sont…). Et puis des amitiés fortes qui naissent contre toute attente dans ce monde cruel. Le lecteur est introduit dans l intimité de ce petit monde en loques, errant sous les pluies diluviennes dans une jungle peuplée d insectes monstrueux, ravagée par les maladies, où les humains sont placés dans un redoutable face à face avec eux-mêmes, leurs faiblesses, leurs mesquineries, leurs terreurs, mais aussi leurs convictions et leurs espoirs. Une amitié très forte liera Ingrid à Lucho, l un de ses codétenus, avec qui elle s évadera : cinq jours hallucinants dans une forêt sans fin, avant d être repris par des geôliers qui ne tarderont pas à se transformer en bourreaux. Cercle après cercle, nous sommes conviés à un voyage infernal où l humanité pourrait se perdre, et où elle puise au contraire les raisons essentielles de s affirmer.
Même le silence a une fin restera sans doute comme un des grands textes de la littérature concentrationnaire. Il ne s agit pas simplement d un récit-choc, mais d un vrai livre, profond et beau. Il décrit une aventure humaine qui reste palpitante malgré son caractère atroce, et un itinéraire spirituel qui force le respect.

 

Même le silence a une fin est le témoignage d’Ingrid Bétancourt sur ses 6 années et demi dans la jungle colombienne en tant qu’otage de FARC (l’armée révolutionnaire colombienne qui utilise les prises d’otages comme force d’échange avec le gouvernement colombien et autres puissances internationnales).

Autant vous prévenir, je n’ai pas acheté ce livre, et je ne l’aurais sans doute jamais lu si ma mère ne me l’avait pas mis entre les mains avec l’ordre de le lire (bon, j’exagère un peu)! Le premier livre d’Ingrid Bétancourt, La rage au coeur, m’avait forgé un apriori négatif face à cette femme que je trouvais artificielle, un peu trop enfant gâtée et petit chaperon rouge, et qui, pour moi, s’était jetée de façon inconsidérée dans la gueule du loup. Bien entendu, son drame, cette captivité sans fin, ses enfants, tout cela me touchait, mais elle, en tant que femme, en tant que politicienne, et en tant que victime…non.

Et bien, comme quoi! Y a que les imbéciles (et certains politiciens) qui ne changent pas d’avis!

Ce témoignage est la relation de l’expérience personnelle de l’auteure, otage, franco-colombienne, femme, mère, politicienne, croyante, mais aussi, et peut-être surtout, une chronique saisissante du quotidien des otages, dans la jungle, parfois enchaînés, toujours surveillés, mal nourris, mal soignés, qui tentent de survivre en tant qu’êtres humains, malgré les violences et les humiliations, et malgré leurs propres démons.
Que l’on aime ou non Ingrid Bétancourt, que l’on croit ou non aux quelques autres témoignages peu flatteurs dressés par certains de ses compagnons de captivité (Clara Rojas entre autres), que l’on adhère ou non à sa cause, ce témoignage est d’une force extrême et jette une lumière crue sur les deux faces de l’être humain. Celle, lumineuse, de la solidarité dans le malheur, de l’entraide, de l’amitié et de l’abnégation, et celle, beaucoup plus sombre, de l’instinct de survie, de l’égoisme et de la capacité de cruauté tapie en chacun de nous. L’Homme face à l’Autre et face à soi.
Le choix de l’auteur, de nous faire partager son quotidien d’otage, non pas simplement de façon chronologique, mais selon des étapes fortes de ces presque 80 mois de détention (sa capture, la mort de son père, sa maladie, ses amitiés, les liaisons radios, les marches interminables, la cruauté des géoliers, les étincelles d’humanité de certains FARCs, jusqu’à la libération rocambolesque et inespérée) permet de suivre, de vivre, sinon de comprendre, le quotidien, le calvaire des otages en Colombie, et peut-être un peu celui de tous les otages retenus à travers le Monde.
De façon plus universelle, cela permet de se questionner : rester humain, quand les conditions de vie et de survie sont défaillantes sinon inexistantes, cela n’est pas si simple et certainement pas une évidence. Force et courage, bien entendu, mais aussi discipline et grandes ressources intérieures sont nécessaires.
Comment réagirais-je? Serais-je un monstre? un bon compagnon ou un bourreau? Aurais-je eu le courage de cette femme et de ceux dont elle nous parle? Ou s’arrête l’humanité? Ou commence la cruauté? Quelles sont les frontières? Voilà quelques questions que pose aussi ce livre.

Vaste fresque à travers la jungle et la nature humaine, écrite avec générosité et justesse.