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Le rêve de Champlain

12 novembre 2011

De David Hackett Fischer

traduit de l’anglais par Daniel Poliquin

Dans Le Rêve de Champlain, l’historien américain David Hackett Fischer brosse un portrait profondément renouvelé et fascinant de cette figure que l’on croyait familière et en fait ressortir les multiples facettes : le soldat, l’espion à la solde du roi, l’artiste doué, le cartographe de génie et le navigateur hors pair.

Champlain a lutté pour la réalisation d’un rêve immense, un Grand Dessein pour la France en Amérique. Pendant trente ans, il a sillonné un territoire que se partagent aujourd’hui six provinces canadiennes et cinq États américains, tout en menant un combat non moins farouche contre les ennemis de la Nouvelle-France à la cour d’Henri IV. Lui qui était né dans un pays ravagé par les guerres de religion, il a encouragé les mariages entre colons et Indiens, il a prêché la tolérance envers les protestants. Il a inlassablement tenté de maintenir la paix entre les nations indiennes, mais il a su quand il le fallait prendre les armes et imposer un nouvel équilibre politique, se révélant ainsi un guerrier et un stratège redoutables. Il a été un leader visionnaire, surtout si on le compare à ses contemporains anglais et espagnols, un homme qui rêvait d’un monde plus humain et vivant en paix, dans une époque marquée par la cruauté et la violence.

Fruit d’une recherche colossale, accompagnée de nombreuses cartes et illustrations, dont plusieurs de la main de Champlain, cette grande biographie, la première depuis des décennies, est tout aussi enlevante que la vie de son modèle.

Après la biographie de Marie-Antoinette, me voici plongée dans celle de Samuel de Champlain, pavé de plus de 900 pages! Voulant approfondir ma connaissance de l’Histoire du Canada, je me suis plongée avec délices dans cette saga suite à un reportage sur les ondes de Radio Canada.

Cette lecture me permet (je n’ai pas encore tout à fait terminé l’ouvrage) de découvrir cette figure emblématique du Canada ainsi que son auteur, l’historien et enseignant américain David Hackett Fischer. Notre découvreur, soldat, navigateur, géographe, diplomate, auteur, né vers 1570 a grandi dans la France déchirée par les guerres de religion entre catholiques et protestants. Cela l’a profondément marqué et suivi toute sa vie, et son rêve de colonisation et d’une Nouvelle-France, au-delà de l’océan, était profondément empreint par sa volonté et ses actions de diplomatie entre les Français et les Amérindiens, les protestants et les catholiques. Il s’est toujours efforcé de privilégier le dialogue, la négociation, la tolérance et la découverte de l’autre au lieu de la force et de la répression comme les ont utilisées les autres Européens sur les continents Américains.

Son héritage de tolérance et d’ouverture est toujours présent dans la société canadienne et cette figure a bien mérité un ouvrage à sa mesure, fruit d’un travail de plus de 20 ans. Cette biographie est accessible à tous, écrit dans un langage clair, regorgeant d’illustrations, de cartes, de dessins d’époque. L’on y découvre pourquoi le Cap Tourmente porte ce nom, comment la Rivière Richelieu s’est retrouvée nommée ainsi, etc.

Et maintenant que je vis en Ontario, j’ai grâce à cela une vision un peu plus précise des nombreux voyages du Sieur de Champlain car il est venu sur les rives de nos lacs, comme sur les rives des rivières maintenant américaines.

Carte de la Nouvelle-France par Samuel de Champlain, 1612

(clic pour la voir en plus grand)

Même le silence a une fin

2 mars 2011

de Ingrid Bétancourt

Meme le silence a une fin Ingrid Betancourt

Le 23 février 2002, Ingrid Betancourt est enlevée par les FARC. Un calvaire commence, qui prendra fin six ans et demie plus tard, le 2 juillet 2008.
Ingrid Betancourt décrit avec précision sa captivité aux mains des FARC. Le récit débute par une impressionnante scène, décrivant l une de ses cinq tentatives d évasion. Le lecteur est ainsi fixé à la fois sur la détermination de la prisonnière, et sur la dureté de ses conditions de détention. On revient ensuite au début de l histoire, qui suivra dès lors le fil chronologique, à commencer par la journée du 23 février 2002.
De cette litanie de journées semblables, Ingrid Betancourt parvient à faire un récit captivant de bout en bout. Elle nous plonge dans la vie quotidienne de la jungle, rendant presque palpables l attente et l angoisse, décrivant de façon très nuancée ses geôliers, qui pour la plupart ont l âge de ses propres enfants. Elle raconte les évasions ratées, les humiliations permanentes dues à la promiscuité et à la cruauté de certains gardes ou commandants de camps successifs, les conditions de vie épouvantables, la fuite permanente, les malaises et les maladies, les périodes de découragement. Chaque tentative d évasion entraîne des traitements toujours plus violents, mais aussi les reproches de ses codétenus, qui la rendent responsable de l aggravation immédiate de leurs conditions. Il y a aussi des moments inattendus de joie (la confection de ceintures tressées en fil de nylon, la broderie, la lecture de la Bible ou de Harry Potter, le gâteau d anniversaire confectionné pour la date de naissance de la fille d Ingrid, les geôliers soudain se mettant à danser avec la grâce des adolescents qu ils sont…). Et puis des amitiés fortes qui naissent contre toute attente dans ce monde cruel. Le lecteur est introduit dans l intimité de ce petit monde en loques, errant sous les pluies diluviennes dans une jungle peuplée d insectes monstrueux, ravagée par les maladies, où les humains sont placés dans un redoutable face à face avec eux-mêmes, leurs faiblesses, leurs mesquineries, leurs terreurs, mais aussi leurs convictions et leurs espoirs. Une amitié très forte liera Ingrid à Lucho, l un de ses codétenus, avec qui elle s évadera : cinq jours hallucinants dans une forêt sans fin, avant d être repris par des geôliers qui ne tarderont pas à se transformer en bourreaux. Cercle après cercle, nous sommes conviés à un voyage infernal où l humanité pourrait se perdre, et où elle puise au contraire les raisons essentielles de s affirmer.
Même le silence a une fin restera sans doute comme un des grands textes de la littérature concentrationnaire. Il ne s agit pas simplement d un récit-choc, mais d un vrai livre, profond et beau. Il décrit une aventure humaine qui reste palpitante malgré son caractère atroce, et un itinéraire spirituel qui force le respect.

 

Même le silence a une fin est le témoignage d’Ingrid Bétancourt sur ses 6 années et demi dans la jungle colombienne en tant qu’otage de FARC (l’armée révolutionnaire colombienne qui utilise les prises d’otages comme force d’échange avec le gouvernement colombien et autres puissances internationnales).

Autant vous prévenir, je n’ai pas acheté ce livre, et je ne l’aurais sans doute jamais lu si ma mère ne me l’avait pas mis entre les mains avec l’ordre de le lire (bon, j’exagère un peu)! Le premier livre d’Ingrid Bétancourt, La rage au coeur, m’avait forgé un apriori négatif face à cette femme que je trouvais artificielle, un peu trop enfant gâtée et petit chaperon rouge, et qui, pour moi, s’était jetée de façon inconsidérée dans la gueule du loup. Bien entendu, son drame, cette captivité sans fin, ses enfants, tout cela me touchait, mais elle, en tant que femme, en tant que politicienne, et en tant que victime…non.

Et bien, comme quoi! Y a que les imbéciles (et certains politiciens) qui ne changent pas d’avis!

Ce témoignage est la relation de l’expérience personnelle de l’auteure, otage, franco-colombienne, femme, mère, politicienne, croyante, mais aussi, et peut-être surtout, une chronique saisissante du quotidien des otages, dans la jungle, parfois enchaînés, toujours surveillés, mal nourris, mal soignés, qui tentent de survivre en tant qu’êtres humains, malgré les violences et les humiliations, et malgré leurs propres démons.
Que l’on aime ou non Ingrid Bétancourt, que l’on croit ou non aux quelques autres témoignages peu flatteurs dressés par certains de ses compagnons de captivité (Clara Rojas entre autres), que l’on adhère ou non à sa cause, ce témoignage est d’une force extrême et jette une lumière crue sur les deux faces de l’être humain. Celle, lumineuse, de la solidarité dans le malheur, de l’entraide, de l’amitié et de l’abnégation, et celle, beaucoup plus sombre, de l’instinct de survie, de l’égoisme et de la capacité de cruauté tapie en chacun de nous. L’Homme face à l’Autre et face à soi.
Le choix de l’auteur, de nous faire partager son quotidien d’otage, non pas simplement de façon chronologique, mais selon des étapes fortes de ces presque 80 mois de détention (sa capture, la mort de son père, sa maladie, ses amitiés, les liaisons radios, les marches interminables, la cruauté des géoliers, les étincelles d’humanité de certains FARCs, jusqu’à la libération rocambolesque et inespérée) permet de suivre, de vivre, sinon de comprendre, le quotidien, le calvaire des otages en Colombie, et peut-être un peu celui de tous les otages retenus à travers le Monde.
De façon plus universelle, cela permet de se questionner : rester humain, quand les conditions de vie et de survie sont défaillantes sinon inexistantes, cela n’est pas si simple et certainement pas une évidence. Force et courage, bien entendu, mais aussi discipline et grandes ressources intérieures sont nécessaires.
Comment réagirais-je? Serais-je un monstre? un bon compagnon ou un bourreau? Aurais-je eu le courage de cette femme et de ceux dont elle nous parle? Ou s’arrête l’humanité? Ou commence la cruauté? Quelles sont les frontières? Voilà quelques questions que pose aussi ce livre.

Vaste fresque à travers la jungle et la nature humaine, écrite avec générosité et justesse.